Un homme sérieux à la force de volonté exceptionnelle. Rationnel, optimiste, calme et souriant, Jigoro Kano avais un caractère franc et incarne avec dignité celui qui à su braver les difficultés pour le mener à la réussite.
Dans ses écrits, Kanō Jigorō parle parfois de lui-même. Lorsqu’il se décrit, il caractérise son propre caractère par deux aspects principaux, présents dès son enfance et constants tout au long de sa vie : « ne jamais douter » et « détester perdre ».
« Ne jamais douter, ne serait-ce qu’un peu, de moi »
S’entraîner, et s’en découvrir changé, c’est une chose. En déduire qu’une méthode fondée sur cette expérience puisse changer le monde, ça en est une autre. Il faut dire que Kanō Jigorō a confiance en lui : un trait qui, selon lui, vient de son enfance et qui ne lui permet pas de « douter, ne serait-ce qu’un peu » de lui-même :
De façon générale, lʹinfluence spirituelle que jʹai reçue de ma mère dans mon enfance, qui mʹa permis dʹêtre ce que je suis aujourdʹhui, cʹest de ne jamais douter, ne serait‐ce quʹun peu, de moi.
« Détester perdre »
Pourquoi le jeune Kanō Jigorō a-t-il choisi de faire du jūjutsu, d’une part, et pourquoi a-t-il lutté pour maintenir son école dans les périodes les plus difficiles, d’autre part ? Parce que, selon lui, autre trait le caractérise depuis l’enfance : il déteste perdre.
Il est une vérité constante de mon enfance à aujourdʹhui. Et cʹest « détester perdre ».
Parmi les différentes définitions qu’il donne de lui-même, c’est celle qui semble le mieux lui convenir, puisqu’il ira jusqu’à dire que « le Kōdōkan jūdō, s’il
existe aujourd’hui, c’est qu’il est né sur la base de [son] aversion pour la défaite. »
Les propos de ceux qui ont approché Kanō Jigorō à différents âges de sa vie confirment sa confiance en lui, insistant cependant plus sur la force de sa volonté que sur son aversion pour la défaite. Ils complètent aussi ses affirmations en dressant un portrait plus riche et plus nuancé, permettant de mieux comprendre comment le jeune homme a pu bénéficier, quelle que soit l’entreprise dans laquelle il s’est lancé, du soutien de nombreuses personnes, souvent influentes. Sont ainsi confirmées des qualités que ses écrits laissent deviner : talent d’organisation et de meneur d’hommes, intelligence insatiable, volonté inébranlable.
[…] il avait aussi une grande capacité à organiser et à réglementer. […] en même temps, il possédait une considérable et inébranlable confiance en lui. […] Avec une intelligence hors du commun pour pénétrer la vérité, il possédait une force de volonté extrêmement solide.
[Munakata Itsurô]
« Il était profondément rationnel »
Une des qualités de Kanō Jigorō qui revient le plus souvent dans les différents témoignages est sa capacité à analyser les situations. A cette capacité
d’analyse vient s’ajouter un esprit profondément rationnel, défendeur sans trêve d’une démarche raisonnable, logique et pragmatique, cette même démarche qui guidera la création, puis le développement du jūdō, tout au long de sa vie.
Au cours des nombreuses occasions que j’ai eues de faire directement la connaissance de Monsieur Kanō, il y a des choses que j’ai fortement ressenties, et la première est qu’il était d’une extraordinaire sagacité. […] Il était foncièrement rationaliste.
[Sugimori Kōjirō]
« Un caractère à faire ce qui doit être fait »
A cette capacité d’analyse s’ajoute une autre qualité : celle de décider et d’agir, ce dont la fondation du Kōdōkan, à l’âge de 21 ans, est la démonstration.
Surtout si on considère que cette école est déjà la troisième créée par le jeune homme, puisqu’elle est précédée, en février 1882 du Cours Kanō (Kanō-juku 嘉納塾) et, en mars / avril 1882, du Kōbunkan 弘文館.
Il [Kanō] n’était pas homme à parler mais à agir. Il avait un caractère à faire ce qui devait être fait.
[Mifune Kyūzō]
« Un incorrigible optimiste »
Pour dépasser toutes les difficultés et entreprendre malgré tout, il ne suffit pas de penser être dans le juste et d’avoir de la volonté : il faut encore être persuadé que cela va fonctionner, c’est-à-dire se projeter dans l’avenir avec optimisme.
Sa vie a été une chronique de combats. Je crois que l’on peut dire qu’elle a plutôt été une histoire de franchissement de mille difficultés et peines, une succession d’efforts et de luttes. Pourtant, il paraissait toujours serein et calme. Son attitude active était vaillante, audacieuse, hardie. Non seulement il ne laissait jamais apparaître ni peine ni ennui mais il était toujours soit d’une attitude calme et sans précipitation, soit souriant. […] Le professeur était aussi un incorrigible optimiste.
[Munakata Itsurō]
« La plupart l’aimaient et le respectaient »
Pour réaliser ses objectifs et mener ses différents projets, il a également fallu que Kanō Jigorō gagne et conserve l’amitié, le soutien de nombreuses
personnes, dans différents domaines ; il a aussi fallu qu’il obtienne l’adhésion de ses élèves à son projet. Il faut dire qu’un homme aussi ambitieux et sûr de lui aurait pu ne se faire que des ennemis ; pourtant, Soejima Michimasa, entre autres, le confirme, il était aimé et respecté. Ce paradoxe apparent s’explique par un autre aspect de son caractère, généralement occulté et méconnu : la chaleur dont il pouvait faire preuve en toute circonstance.
Derrière une franchise et un caractère bien trempé qui le poussaient à foncer tête baissée quand il pensait être dans le vrai, c’était un homme sympathique et sans arrière‐pensée ; c’est pourquoi, alors qu’il paraissait d’un genre à ne se faire que des ennemis, la plupart des gens l’aimaient et le respectaient.
[Soejima Michimasa]
D’autres extraits sont éclairants. Écrits par des personnes de divers horizons, amis, élèves, universitaires, hommes politiques, etc. ils sont regroupés en annexe de Dai-nihon jūdō-shi 大日本柔道史 (Histoire du jūdō du Grand Japon), sous le titre « Kanō sensei no omoide 嘉納先生の思出 » (« Souvenirs du professeur Kanō »).
La première impression qu’il [Kanō] m’a laissée était que c’était un homme vif, gentil, passionné.
[Horikiri Zenjirō]
Sous un aspect sévère, il [Kanō] était d’un caractère plein d’une affection chaleureuse.
[Nagaoka Shūichi]
Il [Kanō] revêtait aussi en personne le keiko‐gi et il enseignait minutieusement et rigoureusement aux débutants. Mais ce n’était pas seulement rigoureux, il observait avec une indicible chaleur sortie du fond du cœur et c’est pourquoi tous apprenaient les rudiments du mieux possible. Le corps du professeur était vraiment souple, un peu enveloppé mais, lorsqu’il portait une technique, son corps devenait dur et tendu au point que l’on aurait dit une autre personne : c’était alors vraiment le professeur Kanō et cela nous emplissait, nous autres, élèves, d’admiration respectueuse.
[Morioka Tsunezō]
Le monsieur Kanō que l’on pouvait voir à Abiko n’était ni le grand chef du Kōdōkan, ni l’éminent pédagogue, pas plus qu’un membre de la Chambre des Pairs, mais un vieil homme débonnaire et foncièrement gentil. Il fréquentait, toujours tout sourire, les gens du village et s’intéressait sérieusement aux problèmes de chacun. Les gens du village ne le vénéraient pas comme un personnage de tout premier plan mais plutôt comme un ancien et l’appelaient affectueusement « monsieur Kanō, monsieur Kanō ».
[Sugimura Sojinkan]
« Un humour raffiné »
Enfin, Kanō Jigorō semblait doté d’un humour sans faille, trait de caractère méconnu, et qui peut sembler trancher avec certains aspects évoqués précédemment. Cela aussi, assurément, devait lui permettre de s’attirer la sympathie de ses interlocuteurs.
Dans ces moments là, au beau milieu d’un discours rigoureux tout autant que profond, avec un visage sérieux, d’un ton sérieux, il plaçait une histoire d’un humour raffiné qui faisait sourire les élèves.
[Takashima Heizaburō]